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Mutualisme et symbiose: L’art de vivre ensemble

On entend souvent les mots mutualisme et symbiose. Pourtant, on fait rarement la différence entre ces deux termes. Il y a effectivement une nuance et pour certains animaux elle est d’une importance majeure.

Le mutualisme est une relation qui peut avoir lieu entre des membres de la même espèce ou ceux d’espèce différente, elle se traduit généralement par un échange de service qui avantage tous les participants. Cet échange est de courte durée et les individus qui y participent demeurent éloignés les uns des autres, à l’exception du moment ou l’échange à lieu.

La symbiose est aussi une relation ou tous les participants sont avantagés. La différence se situe dans la proximité, la durée et le type de relation. Les relations symbiotiques impliquent toujours deux espèces différentes (souvent éloignées au niveau évolutif) qui s’associent de façon indissociable. L’une des espèces appelées le symbiote accueille l’autre espèce (souvent plus petite) appelée le symbionte. Elles demeurent étroitement liées pour la majeure partie de la vie des deux organismes.

Outre cette nuance de vocabulaire, il est intéressant de se pencher sur la question de l’évolution des associations de type mutualiste ou symbiotique.

Pourquoi certains animaux travaillent ensemble au lieu de se faire la compétition?

Un peu comme l’altruisme, l’association avec d’autres espèces peut permettre d’accroître le fitness de tous les participants. Le fitness (valeur adaptative en français) est la capacité à survivre et produire des jeunes viables, c’est le grand objectif du vivant.

Le mutualisme évolue lorsqu’une ressource difficile à synthétiser ou acquérir pour une espèce donnée peut être fournie de manière plus abordable par une autre espèce qui a un besoin qui est facile à remplir en retour. Prenons par exemple, le lichen, une association symbiotique entre une algue verte et un champignon. L’algue fournit au champignon des sucres simples issus de la photosynthèse et en échange elle obtient des nutriments ainsi qu’un milieu de vie à l’abri de la sécheresse, des radiation UV et des herbivores affamés.

Comme bien d’autres comportements, le mutualisme et la symbiose ont dû être stabilisés au fil du temps pour finalement devenir liés étroitement à la survie des organismes. Les relations ne peuvent, par exemple, persister si la tricherie annihile les bénéfices pour les participants. Il y a de la triche lorsqu’un des participants obtient un service, mais n’investit pas d’énergie pour retourner la pareille. Dans certains cas, les participants ont évolué pour éviter la tricherie. Dans d’autres, la tricherie a lieu, mais la relation mutualiste persiste malgré tout.

Souvent la tricherie est éliminée grâce à la transmission verticale. La transmission verticale est le transfert direct du symbionte à la génération suivante. Cela permet à l’organisme symbiote de confier un partenaire honnête à sa descendance et ainsi lui éviter de faire face à l’éventualité de devoir prendre un symbionte de l’environnement qui risque de tricher.

C’est exactement ce qui se passe chez diverses espèces d’insectes qui se nourrissent de la sève des plantes (cicadelles, cigales, cercopes). Dans ce cas-ci, le symbionte est une bactérie logée dans leur tractus digestif qui produit les enzymes nécessaire à la dégradation de la sève. Les insectes transferts cette flore bactérienne à leurs progénitures d’une manière si exclusive qu’ils ne peuvent vivre sans elle. Les deux groupes ont évolué ensemble pour devenir indissociables. Peut-être qu’à la base la bactérie était un parasite, une proie non digérée ou simplement un organisme indépendant qui se nourrissait des déchets des insectes. Au fil du temps, cette proximité aura donné lieu à la symbiose.

La même chose en va pour les fourmis champignonnistes. Ces fourmis des tropiques transportent des morceaux de feuilles à leur fourmilière pour nourrir un champignon qu’elles cultivent et dont elles s’alimentent. Elles sont en quelque sorte des fermières qui cultivent les champignons pour assurer leur survie. Les fourmis transfert leur champignon aux générations subséquentes en transportant une infime partie du mycélium avec les jeunes reines qui vont former de nouvelles fourmilières. Cela permet de garder la même souche de champignon dans la famille puisque les fourmis champignonnistes sont très sensibles à la signature chimique de leur champignon et ne vivent qu’avec leur souche natale.

Le transfert vertical est une bonne stratégie, mais elle vient aussi avec ses désavantages. À force de transférer le même organisme de génération en génération, celui-ci devient fortement consanguin et son génome rapetisse puisqu’il n’est pas soumis à la diversité génétique du milieu. Cela affecte, entre autres, sa capacité à résister aux changements environnementaux. Si l’on prend le cas des fourmis champignonnistes, il est concevable de penser que si les fourmis disparaissent, la lignée de champignons disparaitra avec elles.

Bien sûr, comme on pourrait s’y attendre, il existe d’autres stratégies pour combattre les tricheurs dans le monde du vivant.

C’est le cas du choix de partenaire de mutualisme. En effet, certains organismes vont choisir leur symbionte en leur faisant subir une série d’épreuves afin de s’assurer qu’il ne soit pas des tricheurs. C’est le cas d’une seiche hawaïenne (Euprymna scolopes) qui a une association symbiotique avec une bactérie, Vibrio fischeri, qui lui confère la capacité de faire de la bioluminescence. Les bactéries bioluminescentes permettent aux seiches d’ajuster leur teinte à celle de l’eau sous la luminosité du clair de lune et ainsi de se camoufler aux yeux des prédateurs.

Afin de trouver leur place à l’intérieur de la peau de la seiche, la bactérie doit parcourir une série d’obstacle qui sélectionnera l’efficacité de sa capacité symbiotique. Au départ, la jeune seiche (âgée d’à peine deux heures) attire les bactéries environnantes grâce à un mucus spécial. Les bactéries se dirigent et entrent dans le mucus, elles doivent ensuite pénétrer dans des conduits à l’intérieur de la seiche pour atteindre les cryptes (des chambres aménagées pour accueillir les colonies bactériennes) qu’elles pourront coloniser. Mais pour les atteindre, les bactéries doivent avoir des capacités spéciales qui sont souvent peu communes chez V. fischeri. Elles doivent, entre autres, possédé un flagelle pour nager ainsi qu’une résistance innée à des hautes teneurs de différents acides et autres molécules rencontrées dans les conduits de la seiche. Les bactéries doivent aussi avoir les bons gènes de bioluminescence et la capacité d’utiliser l’oxygène pour faire de la bioluminescence, dans le cas contraire, elles se feront expulser. En soumettant son symbionte à toutes ces épreuves, les seiches s’assurent de les garder honnêtes.

Le cas de la seiche est fort intéressant, mais ce n’est pas la seule manière de se protéger de la tricherie en agissant sur son symbionte. Dans bien des cas, l’hôte utilisera la stratégie de punir les partenaires qui ne performent pas afin de s’assurer que le mutualisme demeure fiable pour tous les participants.

La relation symbiotique entre les plantes faisant partie de la famille des légumineuses (trèfle, poix, haricots, etc.) et les bactéries rhizobiennes démontre bien cette stratégie. Dans cette relation, les bactéries s’introduisent dans les racines et produisent de l’azote sous une forme assimilable pour la plante et celle-ci fournit à son tour des glucides et des nutriments en échange. L’azote est un élément que l’on dit limitant parce que les plantes en ont besoin, mais sa forme assimilable est rare dans la nature. L’azote se retrouve surtout sous forme gazeuse dans l’atmosphère. Les bactéries permettent de fixer cet azote atmosphérique et ainsi le transformer en une forme « bonne à manger » pour les plantes.

Ce processus demande, néanmoins, une quantité considérable d’énergie. Les bactéries peuvent alors avoir recours à la tricherie puisque cela les avantages directement. Dans ce cas-ci, les plantes de la famille des légumineuses n’ont pas recours au processus de sélection comme dans le cas de la seiche et de ses bactéries bioluminescentes, elles ne peuvent donc s’assurer d’avoir des bactéries honnêtes. Les plantes ont alors recours à la punition pour garder leur symbionte au travail. Elles vont, entre autres, diminuer l’apport d’oxygène aux bactéries et cela va réduire leur fitness et ainsi renforcer la relation symbiotique.

Dans les exemples que l’on a vus jusque là, la relation mutualiste présente une division des tâches qui donne lieu à un échange direct des ressources. Il existe un autre type de mutualisme ou il n’y a pas de division du travail. Les organismes ne font alors que profiter de la présence des autres espèces. Un bon exemple est le mimétisme. Une espèce s’associe à une autre espèce vénéneuse ou à mauvais goût en imitant son aspect physique. Cela lui permet d’enseigner plus vite au prédateur qu’elle a mauvais goût ou qu’elle est dangereuse. C’est le cas de notre monarque et du vice-roi, deux papillons aperçus souvent au Québec.

Même ce type de mutualisme à ses tricheurs. Dans le mimétisme qui l’on appelle Müllérien le mime envoie un signal honnête, il imite l’espèce dangereuse et développe lui aussi des toxines ou un mauvais goût. Vient alors le mimétisme Batésien dans lequel le mime envoie un signal mensonger, il développe la coloration associée au danger, mais il est inoffensif. Cela réduit la protection générale conférée par le camouflage pour les mimes Müllérien et l’espèce qu’ils imitent. Il demeure que l’efficacité de ces mimes inoffensifs est seulement avantageuse lorsqu’ils sont présents en moins grande quantité que les espèces toxiques qu’ils imitent.

Outre la tricherie et les liaisons honnêtes, il y a une perspective qu’il important d’explorer pour comprendre le mutualisme: c’est celle de l’écosystème. Les écosystèmes fonctionnent grâce à l’interdépendance qui est à la base une forme de mutualisme obligatoire (la masse végétale morte est fournie obligatoirement aux décomposeurs qui l’assimilent et produisent obligatoirement des nutriments en dérivés qui sont disponibles aux plantes vivantes). Cette interdépendance forge les écosystèmes : les animaux dépendent des plantes, les deux ont besoin des décomposeurs et tous ont besoin des bactéries qui maintiennent la balance dans la chimie des écosystèmes.

Ce réseau est balancé grâce à la compétition et lorsque celle-ci devient trop forte, le mutualisme prend de l’importance, les participants joignent leurs habiletés pour mieux compétitionner contre d’autres. C’est relation permettent alors d’augmenter la diversité et la productivité des écosystèmes.

Les prairies en sont un bon exemple. Cet écosystème est dominé par les graminées (les herbes) et forme des grandes aires ouvertes sans arbres. Ce sont les herbivores qui permettent d’exclure les arbres en mangeant les semis et en favorisant la prolifération des graminées qui ont un rythme de croissance rapide. Les bêtes maintiennent la prairie ouverte et assurent ainsi une profusion d’herbage pour se nourrir. On peut le voir un peu comme une association des graminées et des ruminants contre les arbres.

Cependant, les graminées n’avaient pas, à l’origine, une affinité pour ces herbivores, ils étaient plutôt des antagonistes. Les herbes ont évolué des rhizomes qui les ancres solidement dans le sol et de la silice dans leur feuille afin de décourager le broutage.

Les mammifères ruminants n’étaient pas non plus intéressés par ces plantes difficiles à manger, ils étaient plutôt spécialisés pour manger et déraciner des arbres.

En créant des aires ouvertes, ils favorisaient néanmoins les herbes, créant ainsi les premières prairies. C’est large étendue, ont favorisé l’émergence de mammifères qui avait des dents spécialisées qui pouvaient se nourrir des herbes. Face à la pression de la prédation et à l’absence d’endroit où se cacher, ces ruminants se sont adaptés à un mode de vie de groupe.

Ces groupes passaient ainsi d’un herbage à l’autre pour la brouter et la fertiliser (avec leur excrément), ce qui favorisait la reproduction et l’agrandissement de la prairie.

Sans les bêtes, les arbres reprennent le dessus sur la prairie. Sans les graminées, les bêtes n’ont plus rien à manger.

Deux groupes auparavant opposés, ne peuvent plus se passer l’un de l’autre.

Ces liens entre organismes de différents horizons; champignon et fourmis, seiche et bactérie vibrio, légumineuse et bactérie rhizobienne, graminées et herbivores, sont profondément nichés dans les écosystèmes de notre monde, ils leur permettent de prospérer tout en regorgeant d’une merveilleuse complexité.

En y réfléchissant, on peut faire un rapprochement avec nous, les humains, et notre système de libre échange économique. Là où les animaux compétitionnent pour obtenir des ressources afin de survivre et se reproduire, les humains le font pour vivre confortablement et assurer la sécurité de l’avenir de leurs enfants. Dans les deux cas, la compétition mène à l’adaptation. En nature, c’est le flux des gènes des compétiteurs qui engendre le changement, dans l’économie humaine, ce sont les connaissances et leur diffusion qui assurent le mouvement. Dans les deux cas, la compétition donne naissance à l’innovation en exploitant de nouvelles ressources (ou d’opportunités) et en utilisant mieux les anciennes.

Dans la nature cela permet la diversification des espèces, chez les humains, c’est la diversification des occupations (façon de gagner sa vie). La coopération nait de ce besoin d’exploiter de nouvelles opportunités ou de compétitionner contre une tierce partie.

L’entraide évolue alors entre des membres de différentes espèces/occupations pour faciliter la maximisation du bénéfice par rapport aux coûts.

En bref…on ne réinvente pas la roue.

31 /10/2024

Référence

Leigh Jr, E. G. (2010). The evolution of mutualism. Journal of evolutionary biology23(12), 2507-2528.