Jardin de givre

Voyager, admirer la nature et s'exprimer.

La vie dans son sac à dos

Partir

Partir avec sa vie sur son dos comme une tortue aventureuse et dire au revoir à l’abondance et au confort matériel du nid. Voilà ce que nous avons fait. Nous en sommes revenus maintenant, mais une partie de nous a changé, c’est celle qui a réalisé que l’on n’a pas besoin de bien plus que le contenu d’un sac à dos pour se sentir en vie. 

Cela prend un certain courage pour laisser tout derrière soi et partir dans l’inconnu. Au début, on se sent comme un enfant perdu. Mais ce sentiment s’en va graduellement pour laisser place à une féroce envie de liberté. Cette liberté provient, entre autres, de la simplification. Celle-ci passe avant tout par la minimisation.

Vivre avec peu, c’est vivre avec ce qui se présente devant nous. On ne peut conserver les choses pour bien longtemps, alors il faut les consommer, les partager ou les utiliser rapidement. Si l’on pêche un poisson, on ne peut le fileter et congeler les filets pour plus tard, il faut le manger la journée même. S’il y en a trop, on le partage pour éviter les pertes.

Sac à dos

Dans un sac à dos, tout à sa place. Un ordre règne et chaque poche est comme une chambre de la maison. En bas, on a le hamac et le sac de couchage, au milieu il y a le matériel de survie et en haut c’est les vêtements. Ici, on a la pochette de lumière, on y trouve la lampe frontale et les allumettes. Ici, c’est celle de la nourriture qui recèle les dernières trouvailles. Ici, c’est la pochette électronique qui contient les caméras, batteries et carte mémoire, l’essentiel pour capturer les moments.

Le matériel est précieux : il est réparé, rafistolé et chouchouté. C’est lui qui nous fait traverser les mauvaises passes. L’imperméable qui nous protège de la pluie battante. Le réchaud et la casserole qui nous remplissent le cœur avec de la nourriture chaude. Les frontales qui nous éclairent le chemin et qui protègent sur les bords de routes la nuit. La trousse de premiers soins qui nous garde sur nos pieds contre les infections et les blessures quotidiennes. La trousse de toilette qui nous maintient propres et surtout sains d’esprit. 

Des items banals de la vie courante deviennent de véritables trésors. Ainsi, les livres sont lus et relus jusqu’à ce que les pages soient cornées et humides. La trouvaille d’un livre en français est comme un miracle. Des échanges sont effectués avec d’autres voyageurs, un troc de rêverie.

Vivre comme un nomade

En vivant comme un nomade, on laisse une trace derrière nous. Parfois, c’est un livre que l’on abandonne dans une auberge jeunesse, d’autres fois c’est un chandail oublié, un bas perdu, une marque sur un tableau au fond d’un bar obscur. Une traînée de poudre qui indique notre passage.

Les trouvailles sur le chemin deviennent des talismans. Les pièces de monnaie étrangère semblent avoir plus de valeur que celle que nous avons utilisée toute notre vie. Des figures inconnues sont frappées sur le métal, une histoire à apprendre se trouve inscrite sur ces disques que l’on s’amuse à chercher au sol. S’y ajoutent une panoplie de pierres étincelantes, de coquillages tortillonnant et des plumes colorées. Leur valeur dépasse de loin l’argent qui flotte dans l’océan médiatique de nos comptes en banque. Ce sont des objets qui ont attiré notre curiosité et qui ont enflammé notre imagination.

Les lieux défilent en peu de temps. Dans certains, on choisit de rester. On s’en imprègne. Des odeurs, des vues et des sensations se structurent dans notre psyché et nous marquent à jamais. On instaure ainsi la règle des 21 jours. Cela prend 21 jours pour notre microcommunauté de deux personnes pour se sentir satisfait d’un endroit. Ce processus se développe comme une table d’hôte dans un restaurant. Au début, nous avons les entrées, c’est là que l’on court en tous sens pour en voir le plus possible. C’est doux sur le palet, mais cela ne remplit pas le ventre. Ensuite, on passe au plat principal, on ralentit tranquillement notre entrain et l’on met la dent sur des morceaux plus denses. C’est le moment pour parler avec les locaux et aller sous les apparences. Découvrir des endroits inusités et sortir des sentiers battus. Enfin, on arrive au dessert. On bouge moins et on incorpore le lieu sous toutes ses facettes. En se balançant dans un hamac ou sous la houle de l’océan, on déguste au compte-gouttes ce mélange sucré et moelleux que l’on veut faire durer. 

Loin des siens

En étant loin des nôtres, on s’attache à des petites choses qu’ils nous ont laissées. Cette lettre qu’elle m’a écrite avant de partir en voyage, celle-là même que j’ai pliée et dépliée des centaines de fois pour en lire le contenu, pour la sentir plus près de moi.  La technologie nous a permis de communiquer à distance, mais le cœur n’y est pas. C’est un palliatif pour les relations. Nous finissons par préférés les lettres écrites. Il y est plus facile de partager ce que l’on ne peut se dire à travers un écran.  

Par moment, on sent le manque. Le lien fraternel aide à passer au travers. On partage nos souvenirs, on se téléporte dans un passé que l’on a partagé. Des moments, drôles ou tristes. On tire une ligne invisible vers notre noyau de famille qui est enraciné au loin.

La route apparaît alors moins longue, elle semble même accueillante.

L’horizon des possibles

En prenant de la distance physique avec notre chez nous, on prend aussi une distance psychologique. On remet sans cesse en question notre vie d’avant, on la scrute sous toutes ses facettes. On soupèse éternellement les pour et les contres. C’est un sujet qui vient et revient à tout moment des jours. Aucune réelle solution n’en ressort, mais un sentiment général de satisfaction naît du fait de la critiquer.

Pourquoi passe-t-on la majorité de nos journées devant un écran?

Pourquoi on continu à travailler à quelque chose dans lequel on ne croit pas réellement?

Pourquoi veut-on toujours plus?

Comme des souris qui auraient réussi à s’échapper du labyrinthe, nous analysons nos congénères qui galopent entre les murs pour n’aller nulle part.

Revenir

Qui dit partir dit aussi revenir. De retour dans son monde, tout apparaît lourd. Les responsabilités nous entraînent dans leurs abîmes. L’anxiété qui s’était évanouie rejaillit des profondeurs où elle s’était réfugiée. L’entourage pose des dizaines de questions auxquelles on n’a pas les réponses.

Que vas-tu faire maintenant ? Où vas-tu aller ? Pour qui vas-tu travailler?

Là-bas, on ne se posait pas ces questions. Ici, elles sont l’essentielle du quotidien.

Lorsque l’on tente de raconter nos aventures, la même question revient toujours : quel était ton endroit préféré ?

À chaque fois, on ne peut s’empêcher de rester muet pour quelques secondes. On ne sait comment répondre.  Tous les endroits étaient différents. On les a appréciés différemment. Nous avons vécu dans chacun de ces endroits et nous avons changé grâce à eux. Répondre à cette question, c’est transformer notre vécu en chimère. Les moments sont alors emprisonnés dans des histoires, les détails liés au mur par des chaînes d’apparence. Une partie de nous n’a pas envie d’en parler pour conserver un peu de la pureté des souvenirs.

Après quelques mois, on en parle plus aux autres, notre retour n’est plus une actualité. L’intérêt s’est envolé. Pourtant, nous ne sommes pas réadaptées pour autant.

Le désir de repartir revient régulièrement. La simplicité de la vie de voyage plane sur nos vies subitement compliquées. Deux forces se mettent alors en opposition, celle du confort contre celle de la liberté.

On en conclut que l’on ne peut pas vraiment revenir de ce genre d’expérience. Une partie de nous reste là-bas, sur la route, le sac à dos aux épaules.

01/10/2022