Jardin de givre
Voyager, admirer la nature et s'exprimer.
Jardin de givre
Voyager, admirer la nature et s'exprimer.
Par un froid après-midi de janvier, j’ai décidé d’aller faire une balade sur la promenade du lac des Nations au centre-ville de Sherbrooke. Sur une passerelle qui surplombe le côté sud-est du lac, je me suis penché sur la rampe, un nuage de vapeur sortait de ma bouche et j’ai observé un groupe d’une cinquantaine de canards colverts qui barbotaient en quête de nourriture.
La présence d’une telle quantité de canards par une température qui frôlait les -15°C me surprirent et plusieurs questions me vinrent directement en tête. Pourquoi étaient-ils encore ici, ne devraient-ils pas avoir migré dans le sud des États-Unis ou le nord du Mexique? Comment faisaient-ils pour soutenir une température aussi glaciale?
Certains avaient de la glace sur le bec et ils tentaient de l’enlever sans trop de succès avec leur patte palmée. D’autres se reposaient directement sur la glace comme des statues de plumes, une patte nichée au creux de leur livrée et l’autre soutenant le corps. Les canards se suivaient et tous les individus demeuraient près les uns des autres. Parfois, une incartade explosait entre deux mâles et l’un des oiseaux à la tête verte iridescente en pourchassait un autre à la limite de l’espace occupé par le groupe. Le pourchassé se sauvait puis il réincorporait le groupe quelques secondes plus tard.
À travers les colverts j’aperçus deux autres espèces qui se tenaient avec eux, un cormoran à aigrette et deux grands harles à la huppe révélatrice. Malgré, leur diète et leur comportement plongeur bien différents des colverts, ces espèces restaient avec le groupe dans une attitude qui montrait l’importance de se rassembler durant l’hiver.
Venait s’ajouter à ce cirque aviaire, une envolée de pigeons bisets qui observaient la scène à partir d’un fil électrique non loin de là. Leurs ailes claquaient quand ils décollaient tous d’un même élan pour venir faire des acrobaties au-dessus du groupe de canard qui faisait s’arrêter un bon nombre de curieux passants. Quelques pigeons s’aventuraient même sur la glace près des canards, il était assez rigolo de les voir tenter de garder leur équilibre sur la surface glissante.
Bref, il est évident que tous ces oiseaux se rassemblaient ici pour une raison : ils se faisaient nourrir par des humains. Mais, était-ce suffisant pour contrecarrer l’instinct migratoire? À moins que la migration n’ait rien à voir avec l’instinct et que la décision de rester ou de partir est purement suggestive?
En premier lieu, il est évident que ce phénomène n’est pas uniquement sherbrookois, plusieurs villes nordiques à travers le monde tel Moscou, Varsovie et New-York accueillent des populations des canard colvert durant les longs mois d’hiver.
À travers toute ces villes, des chercheurs se sont intéressés à la raison qui poussait ces oiseaux à devenir des citadins. Plusieurs suggestions ont été émises, la première est en lien avec l’abondance de ressource alimentaire, d’autres sont en lien à la présence d’eau libre de glace et à la protection face aux prédateurs.
Les canards et beaucoup d’autres oiseaux utilisent des variations dans les conditions environnementales comme la diminution de la température, le changement de la luminosité, la chute de neige et la glaciation pour débuter la migration. Il semble en aller de même pour les colverts qui se réunissent dans les villes. Il a été observé que le nombre de canard colvert augmente à mesure que la température descend et que les plans d’eau gèlent en dehors des zones urbaines. Les colverts ont besoin d’eau libre pour se nourrir, se déplacer et se thermoréguler (bref pour vivre). Dans les villes, il y a presque toujours des rivières ou des plans d’eau qui demeurent courant durant tout l’hiver (souvent à cause de barrage, de digue ou réservoir qui augmente artificiellement le courant et empêche ainsi la glaciation), les canards en profitent pour s’y rassembler. Ces plans d’eau ont aussi l’avantage d’être près des humains qui donnent de la nourriture et qui repoussent les prédateurs par leur présence dissuasive. Cette combinaison de facteurs crée des combinaisons optimales qui évitent aux canards de devoir faire une migration risquée et couteuse en énergie.
Pour ce qui est de l’endurance face au froid, les colverts sont bien équipés. Ils possèdent un plumage enduit d’une huile qui provient d’une glande à la base de leur queue (la glande uropygienne), c’est elle qui leur permet d’être imperméable. Les plumes et leur enduit ont une très bonne capacité isolante qui permet d’emprisonner la chaleur près du corps. Leurs pattes qui sont souvent directement en contact avec la glace et l’eau sont munies d’un système d’échange de chaleur qui permet de diminuer les pertes de chaleur. En diminuant la température du sang qui se rend aux extrémités, ils diminuent la température de leurs pattes, cela minimise ainsi les pertes. Ils peuvent aussi réchauffer en alternance leur patte en la repliant sur leur corps comme j’en avais vu faire au lac des Nations.
Ces adaptations physiologiques sont combinées à des comportements qui permettent de rester au chaud comme de demeurer dans l’eau dont la température est supérieure à celle de l’air durant l’hiver, ils évitent ainsi des pertes inutiles de chaleur.
Quand est-il de l’instinct migratoire, est-il complètement perdu?
L’instinct migratoire est partiellement inné et partiellement appris des parents, il peut donc être modifié au fur et à mesure des générations. Les colverts qui demeurent en ville font partie de ces animaux qui subissent une microévolution causée par la présence anthropique (des humains). La présence des canards colverts en villes est en soit un premier pas vers leur domestication. Leur comportement change à cause de conditions modifier artificiellement par l’homme (nourriture, eau libre). Cela est peu surprenant quand l’on sait que la majorité des lignées de canards domestiques actuels sont issues du canard colvert sauvage. Ce processus a déjà eu lieu et il continue de se répéter.
Les canards du lac des Nations n’ont, néanmoins, pas encore perdu tous leurs instincts et le retour au comportement typique est presque assuré pour la belle saison, mais en attendant, pour les temps froids, ils vivent avec nous.
Références
Avilova, K. V. (2018). Structure and long-term fluctuations in the wintering mallard (Anas platyrhynchos, Anseriformes, Anatidae) population in the city of Moscow. Biology Bulletin, 45, 945-955.
Figley, W. K., & VanDruff, L. W. (1982). The ecology of urban mallards. Wildlife Monographs, (81), 3-39.