Jardin de givre

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La convergence évolutive : L’ultime déjà-vu

Le mot “converger” signifie que plusieurs choses provenant de différents endroits se dirigent vers un même point. Ainsi, deux voitures (l’une sur l’autoroute 10 et l’autre de la rue King) roulent toutes les deux vers l’est pour converger vers le centre-ville. Dans la convergence évolutive, nos voitures deviennent des taxons qui ne sont pas apparentés entre eux et l’objectif (le centre-ville) devient le développement d’un trait anatomique similaire. Deux espèces peuvent ainsi évoluer et converger vers la même adaptation sans jamais être entrées en relation. L’exemple classique de ce phénomène est le vol chez les oiseaux, les insectes et les chauves-souris. Les trois taxons sont séparés par des milliers d’années d’évolution et tous ont développé indépendamment la capacité de voler pour se déplacer dans leur habitat respectif.

Simple, n’est-ce pas? Mais, si l’on creuse (et pas très profond en plus) on tombe sur plus complexe.

D’abord, pour mieux comprendre le concept, il faut faire un petit retour sur la définition de l’évolution et en expliquer les cinq grands procédés qui lui donne lieu d’être.

La plus simple définition de l’évolution est : « un changement du pool génétique au fil du temps ». Le pool génétique est l’ensemble des gènes possédés en commun par une population d’une même espèce. Donc quand la quantité de gènes varie, on assiste à l’évolution.

Le premier procédé qui affecte le pool génétique est la diminution de la taille d’une population causée par des phénomènes aléatoires. Si un feu de forêt diminue une population de crapaud de moitié, les gènes des crapauds morts qui ne s’étaient pas encore reproduits sont alors perdus. Le pool génétique diminue et la diversité des traits avec elle.

Le deuxième procédé est la reproduction non aléatoire. Si des individus se reproduisent préférentiellement ensemble, leurs gènes seront surreprésentés dans la population. Si les crapauds bruns se reproduisent entre eux, le gène de la peau brune sera plus représenté dans la population et les gènes issus de la reproduction avec d’autres couleurs le seront moins. Il en va de même s’il y a de l’évitement. Par exemple, les crapauds bruns ne se reproduisent jamais avec les crapauds noirs, mais ils se reproduisent avec le reste des crapauds d’autres couleurs. Le gène associé à la couleur noire sera alors sous-représenté et pourrait même disparaître de la population.

Le troisième procédé est lié directement au hasard, c’est la mutation. De nouveaux gènes surviennent ainsi dans des populations naturelles aux hasards. Par exemple, notre population de crapaud qui comptait jusqu’à alors des patrons de coloration brun, noire et gris verrait l’apparition d’un crapaud rouge. Le pool génétique de la population est alors modifié.

Le quatrième procédé est le flux génétique. C’est simplement, la perte ou le gain de gène par l’immigration ou l’émigration. Cela fait varier le pool génétique.

Le dernier procédé et non le moindre est celui que tout le monde connait : la sélection naturelle. Celle-ci va agir sur le pool génétique en sélectionnant les gènes qui sont adaptés à l’environnement. Par exemple, il y a plus de crapauds bruns en forêt puisque leur couleur leur permet de sa camoufler des prédateurs, cependant dans les champs il y en a moins puisque leur couleur foncée détonne sur la verdure. Le gène est sélectionné en forêt, mais pas dans les champs.

Bon, maintenant revenons à nos pinçons. La grande question en ce qui a trait à la convergence est de savoir si la source du trait commun est le fait de mutations similaires dans des conditions environnementales similaires ou si c’est seulement le hasard qui a brassé les cartes.

Pour illustrer prenons un exemple, les hiboux et le cachalot (une baleine qui fait de la plongée en profondeur pour se nourrir) ont tous les deux développé une stratégie pour protéger leur rétine de la lumière forte. Une molécule modifiée nommée Arr-1 permet de séquestrer des composés toxiques produits par une protéine lorsque la rétine est soumise à une lumière vive. Les deux taxons sont séparés par 300 millions années d’évolution et pourtant il partage cette même molécule qui est liée à leur mode de vie dans des milieux sombres. Peut-on affirmer que c’est la même mutation rare de la même protéine liée à la protection des photorécepteurs de la rétine qui a joué un rôle dans cette adaptation chez ces deux animaux complètement différents?

C’est ce qu’a conclu une étude menée par des chercheurs de l’Université Vanderbilt. Pourtant, c’est l’une des rares qui va dans ce sens. La majorité des études sur des cas de convergence ne trouve pas d’évidence génétique qui permet de prouver leur hypothèse.

Cela ne signifie pas que la convergence évolutive est dénuée de valeur pour autant. Cela semble plutôt indiqué que l’évolution est brouillonne et qu’elle part dans tous les sens. Retrouver sa trace est donc un processus plutôt complexe.

Complexe, mais pas impossible.  

Imaginons que l’on réussirait à prouver génétiquement assez d’exemples de convergence et que l’on utilise ces découvertes pour comprendre les règles qui régulent la direction du processus évolutif. George McGhee, auteur du livre « Convergent Evolution », propose que l’on puisse alors établir une sorte de tableau périodique du vivant. En mettant un différent degré de complexité du monde animal sur chaque ligne et un trait différent dans chaque colonne.

McGhee prend l’exemple de la mobilité chez les organismes. De haut en bas, nous avons d’abord, les invertébrés, puis les amphibiens, les reptiles, les dinosaures et finalement les mammifères. De gauche à droit, nous avons la reptation, la marche, la nage et le vol. Ce tableau permet de voir directement les convergences, on observe les serpents et les vers qui rampent, les oiseaux, chauves-souris et insectes qui volent, etc. On aperçoit aussi les morphologies qui ne sont pas présentes dans la nature et cela amène toute une série de nouvelles questions. Par exemple, pourquoi n’y a-t-il pas de mammifères rampants ou d’amphibien volant? Pourtant, on voit bien que certains groupes sont proches d’arriver à ces destinations évolutives. Les furets et belettes ont des longs corps fusiformes et de courtes pattes, vont-ils se rendre jusqu’à ramper? Des grenouilles du genre Rhacophorus ont développé de larges membranes sur leur patte qui leur permette de planer, vont-elles se rendre jusqu’à développer le vol actif?

En établissant ces liens et en les combinant aux cinq règles de l’évolution que j’ai expliquées plus tôt on pourrait se faire une idée des différentes directions évolutives du vivant.

C’est cela que représente la convergence évolutive, des liens et qui dit liens dit aussi organisation. Le vivant a ses règles, même si elles demeurent, pour la plupart du temps, assez difficile à interpréter.

Fort de ce savoir, imaginons maintenant la vie sur d’autres planètes qui auraient des conditions similaires à la terre. Les organismes vivants sur ces mondes distants auraient-ils les mêmes organisations que ceux sur terre? Si c’est le cas, cette convergence évolutive interplanétaire serait une première en science, elle prouverait à des générations de scientifiques que la nature est plus que le seul résultat du hasard.

09/01/2024

Références

Castiglione, G. M., Chiu, Y. L., Gutierrez, E. D. A., Van Nynatten, A., Hauser, F. E., Preston, M., … & Chang, B. S. (2023). Convergent evolution of dim light vision in owls and deep-diving whales. Current Biology33(21), 4733-4740.

McGhee Jr, G. R. (2011). Convergent evolution. Cambridge, MA: MIT Press.

Stern, D. L. (2013). The genetic causes of convergent evolution. Nature Reviews Genetics14(11), 751-764.

Sackton, T. B., Grayson, P., Cloutier, A., Hu, Z., Liu, J. S., Wheeler, N. E., … & Edwards, S. V. (2019). Convergent regulatory evolution and loss of flight in paleognathous birds. Science364(6435), 74-78.